mercredi 11 novembre 2009

Ca démarre à pleines ventouses



Jetant son ancre vers les cieux, Suçant le sang de ce qu'il aime Et le trouvant délicieux, Ce monstre inhumain, c'est moi-même.
Guillaume Apollinaire





















La pieuvre, le poulpe, la seiche, le calmar sont souvent confondus dans le même regard dégoûté. Et en même temps fasciné, car l'animal cette araignée aquatique aux pattes en forme de serpent ­ réussit quand même le prodige de réunir les grandes phobies de l'homme en un monstrueux mélange.



Le vide de son aspect fantomatique sert de réceptacle à un trop-plein fantasmatique. Rien que dans l'histoire politique contemporaine, il a été mis à toutes les sauces: assimilé tour à tour à l'infâme «Boche» en 1914-18, à la corruption parlementaire dans l'entre-deux-guerres, à la «finance juive» par l'extrême droite dans les années 30 et 40, mais aussi à l'emprise nazie sur l'Europe, ou encore aujourd'hui au terrorisme et à la mafia sicilienne, il est cette hydre mythique dont la tête coupée renaît en mille autres, ce foetus cruel qui dévore l'homme et la nation.



Fantasme vivant aussi de la castration, du «vagin denté», du baiser de la dévoration, de l'amour glouton: une «pieuvre» au XIXe était une courtisane, et Apollinaire écrivait à Lou: «Je goûte ta langue comme un tronçon de poulpe qui s'attache à vous de toute la force de ses ventouses.»



«Au-delà du terrible, être mangé vivant, il y a l'inexprimable, être bu vivant», écrivait Victor Hugo dans les Travailleurs de la mer, en une prose qui en dit long sur l'ignorance scientifique sur laquelle s'appuie cette terreur: «Vous avez affaire au vide ayant des pattes. La griffe n'est rien près de la ventouse. La griffe, c'est la bête qui entre dans votre chair, la ventouse, c'est vous-même qui entrez dans la bête. Vos muscles s'enflent, vos fibres se tordent, votre peau éclate sous une pesée immonde, votre sang jaillit et se mêle affreusement à la lymphe du mollusque. L'hydre s'incorpore à l'homme, l'homme s'amalgame à l'hydre. Vous ne faites qu'un. Ce rêve est sur vous»... Pas étonnant que la pauvre bête, qui n'en demandait pas tant, soit devenue l'héroïne diabolique de tant de récits hallucinés, de romans d'aventure, de science-fiction et de bandes dessinées.

En réalité, l'homme fait preuve d'une noire ingratitude envers cette pauvre créature craintive, qui ne cesse de déployer ses charmes pour le conquérir.

NOCE VINCENT






















OURAKEN meets Hokusai